Tom Stern et Million Dollar Baby

Tom Stern est un des plus fidèles collaborateurs de Clint Eastwood. Depuis Honky Tonk Man en 1982 où il a commencé à assurer le poste de Chef Electro (Gaffer). Ce vétéran des plateaux hollywoodiens a également participé à de nombreux tournages avec de nombreux directeurs photo (Les Goonies, American Beauty, ou Road to Perdition…). C’est sur Blood Work (Créance de sang) que Clint Eastwood a décidé d’en faire désormais son chef opérateur. Une promotion assez rare dans le système américain des studios où les syndicats imposent des régles d’avancement hiérarchiques très strictes au sein de l’équipe image.

Est il facile aux USA de passer du poste de Gaffer à celui d’opérateur ?

Peu de gens arrivent à faire la transition entre le poste de gaffer et celui d’opérateur. En effet, les « Unions » (syndicats) d’opérateurs imposent de passer par la voie habituelle pour obtenir ses gallons de directeur photo (assistant opérateur, puis cadreur…). Il y a cependant quelques autres opérateurs très connus qui ont réussi à faire comme moi. Parmis eux, Russel Carpenter (Titanic), ou Janusz Kaminsky (The Terminal). En ce qui me concerne, je dois entièrement cette opportunité à Clint Eastwood . C’est vraiment lui qui a réussi, avec le soutien de Warner Bros, à faire accepter au syndicat que je puisse signer la photo de ses films.

Vous avez une longue expérience avec Clint Eastwood, comment se déroule le travail avec lui ?

J’ai fait tous les films de Clint depuis Honky Tonk Man, travaillant principalement avec Bruce Surtees, puis Jack Green, les deux opérateurs qui ont fait la majorité de ses films. Pour reparler de cette histoire de promotion, Clint est en fait très fidèle à sa « famille » de techniciens. Il aime toujours travailler avec les mêmes gens, et favorisent leur promotion à l’intérieur de l’équipe. Ainsi, Jack Green était le cadreur de Bruce Surtees, qui l’a remplacé ensuite au poste de chef op. Maintenant c’est à mon tour de remplacer Jack…
C’est sans doute pour cela qu’on ressent toujours une grande sensation de loyauté sur les films de Clint , les gens n’essayent pas de jouer un jeu ou de tirer leur épingle du jeu. On a tous des relations très directes et presque intuitives. La communication est très forte, mais avec peu de mots échangés sur le plateau. Ce qui nous n’empêche pas de parler beaucoup entre nous, mais rarement de ce que l’on est en train de faire.

Avez-vous conscience d’une évolution dans le style de ses films ?

C’est un peu comme quand on cuisine, et qu’on fait réduire une sauce dans la casserole. A feu très doux, ça prend pas mal de temps, et il faut être patient. L’évolution dans le style de Clint je la vois exactement comme çà. Ses films deviennent de plus en plus concentrés, épurés. Le voyage que nous avons entrepris ensemble consiste à simplifier de plus en plus la mise en scène et la mise en image, tout en essayant de ne pas laisser trop de choses importantes sur le coté. C’est une approche basée sur la vision de milliers d’heures de rushs depuis nos premiers films ensemble, et cette sorte de méthode « d’ anti-éclairage » que Bruce Surtees avait initié.

A la rétrospective , je trouve quand même qu’on peut séparer ses films en un avant Bird et un après Bird…non ?

C’est amusant car j’étais le Gaffer sur Bird, et c’était le deuxième film de Jack Green en tant qu’opérateur. Je me souviens que le film était effectivement très sombre et a fait couler beaucoup d’encre, si bien que beaucoup de gens me demandait souvent qui de nous deux en avait signé l’image … Depuis pas mal de chemin a été parcouru, mais en préparant Million Dollar Baby, un jour Clint s’est approché de moi en me disant « Tom, tu veux qu’on parle un peu sérieusement de ce film… ? Bien, tu te souviens de Bird ? Bon, eh bien Million Dollar Baby, il va falloir faire le même film, mais encore plus sombre… »
Alors j’ai dit « Bien sûr, Clint », et puis on a rigolé.
En dehors de cette direction, il m’a montré quelques films des années 50 ( dont Somebody up there likes me, un film de boxe de Robet Wise avec Paul Newman), et je lui ai montré pour ma part des photos noir et blanc

Vous essayez de retrouver l’esprit du noir et blanc malgré la présence de la couleur…

Depuis Mystic River, on a mais ensemble au point une stratégie combinée avec la déco, les costumes et la caméra pour arriver à faire un film en couleur qui tende un peu vers le noir et blanc, avec une gamme de couleurs moins agressives. Niveau pose, j’essaye toujours de garder un maximum d’informations sur le négatif, de manière à pouvoir ensuite aller dans un sens ou l’autre au tirage. Je finis ensuite par un traitement ENR sur le positif, ce qui me redonne du contraste et me permet d’atténuer les couleurs. L’autre point capital, c’est la prise de vue en scope anamorphique. J’ai récupéré une vieille série C Panavision qui a l’énorme avantage d’être très légère comparée aux Primos. Ce qui nous a permis de filmer près de la moitié de ces films au Steadicam. Ma chance c’est que Panavision a entre temps décidé de redonner un coup de jeune à cette série en refaisant notamment les traitements de lentilles. Et je me suis aperçu qu’on voit vraiment la différence, notamment en terme de piqué de l’image entre Mystic River et Million Dollar baby.

Vous êtes vous inspiré d’autres films de boxe, notamment pour filmer les combats ?

Dans mon esprit, ce n’est pas vraiment un film de boxe. C’est plus une histoire d’amour entre un père et sa fille d’adoption, sur fond de boxe. Néanmoins, on n’a pas pu s’empêcher de penser aux ralentis de Scorcese dans Raging Bull … Mais on a plutôt opté pour un filmage très direct, très simple et sans effets. Là encore histoire de revenir au coté très classique de ces films des années 50. Histoire de ne pas donner trop d’importance dramatique aux combats en eux-mêmes par rapport à l’histoire entre le s personnages interprétés par Clint et Hillary.

Et pour éclairer ces combats ?

Mon idée était de placer le ring entre 1.5 et 2 diaphs en surexposition. Puis de laisser graduellement le public tomber dans l’obscurité. Si je me souviens bien, certains jours on a eu jusqu’à 3000 figurants. Mais il n’était pas question de les voir tous obligatoirement. Là encore, on aurait distrait l’attention du spectateur aurait été détournée de l’action principale. Pour éclairer le Ring, j’ai tout fait en douche de manière à pouvoir aller et venir dans tous les axes selon les combats. Quand on choisi ce type de disposition, le deuxième élément capital pour l’image, c’est le tapis de sol, qui va jouer comme réflecteur naturel. On a donc fait très attention au choix de sa couleur de manière à ce qu’il soit suffisamment clair sans devenir blanc éclatant dans les plans en plongée. Pour le grand ring, j’ai utilisé des space lights dont on a remplacé les jupes de tissus noir par des cylindres de métal. De cette manière, on pouvait se permettre de filmer parfois ces space lights en contre plongée sans que ça ne fasse projecteur de cinéma. Pour les rings plus petits, je me contentai de Projecteurs Mole Richardson 2Kw qui ont naturellement le look de ces projecteurs un peu rétro utilisés dans les matchs de box pour éclairer les rings.

En tant qu’ex chef electro, avez-vous vos petites bidouilles en terme de projecteurs persos ?

J’ai deux ou trois petits systèmes que j’affectionne particulièrement. Comme je ne cadre pas , j’utilise fréquemment les réflecteurs portables1/1m, comme des plaques de poly blanche d’un coté, et recouvert de Rosco Silver de l’autre. Ca me vient de mon expérience de Gaffer, où j’avais parfaitement l’habitude de me placer juste bord cadre en fonction de la focale utilisée pour ramener un peu de réflexion sur un visage… J’aime aussi beaucoup des petits trucs bricolés, comme cette lumière perchée fabriquée à partir d’une simple ampoule survoltée 3200°K diffusée placée dans un réflecteur alu au bout d’une perche. Ca permet de me placer au dessus de l’optique , de me balader en fonction du placement du comédien , et d’être très mobile et très efficace. J’ai aussi adopté une technique que Russel Carpenter m’a enseigné, celle de la mini torche à ampoule Xenon entourée d’un tube en carton placée directement sur le parasoleil , qui éclaire directement dans l’axe. Filtrée en 85 le cas échéant, et légèrement diffusée, cette astuce est très efficace avec les comédiennes… d’un âge certain.
Bref , je ne m’ennuie jamais, et j’ai toujours un truc dans les mains pendant les prises… !