Peter Suschitzky filme Spider

Bien que citoyen Britannique, Peter Suschitzky, mène depuis plus de trente ans une carrière d'opérateur qui l'a mené à tourner la plupart du temps bien loin de son foyer Londonien. Parmi les oeuvres dont il a signé l'image, on trouve pèle mêle un film culte comme le "Rocky Horror Picture Show" , l' épisode le plus noir des aventures de Luke Skywalker ("L'empire contre attaque") ou bien une biographie originale de Beethoven ("Immortal Beloved"). Mais sa collaboration la plus féconde et la plus aboutie reste sans doute celle qu'il entretient avec David Cronenberg. Depuis "Faux Semblants" en 1986 , Peter a depuis participé à tous les films du cinéaste Canadien. C'est à l'occasion de la sortie de "Spider" (sélectionné en compétition à Cannes 2002) qu'il m'avait accordé cet entretien dans un français parfait, hérité jadis en partie d'une année d'étude à l'Idec



Parmi votre filmographie, il y a t-il un film qui reste bien particulier à vos yeux?

"It Happened Here". C' est le premier film que j'ai tourné en tant qu'opérateur.
C'était un projet vraiment fauché, tourné pour le plaisir sur plusieurs week-ends avec des chutes de pellicule qui provenaient du tournage de "Docteur Folamour" de Kubrick. Réalisé par Kevin Bronlow (devenu entre temps historien du cinéma muet) ce film décrivait une Grande Bretagne de fiction occupée par les Allemands, à l'issue d'une défaite en 1945. J'étais alors très jeune (une vingtaine d'années) et j'ai pu me servir concrètement de ce premier long métrage pour montrer ce que je savais faire. Ce fut une vraie chance pour moi , car à l'époque, personne ne pouvais prétendre décemment à occuper un poste de chef opérateur avant d'avoir atteint au moins l'âge de 40 ans! C'est pour cela qu'en dehors de ses qualités et de ses défauts, ce film tient une place toute particulière dans mon cœur .
Après cette première expérience, j'ai fait un autre long métrage en tant qu'assistant opérateur , histoire de me familiariser avec le travail et le matériel en studio, et puis j'ai pu reprendre le cours de mes activités au poste d'opérateur d'abord sur documentaires, et sur publicités.
La photographie a eu également une très grande influence sur mon apprentissage de l'image et de la lumière. Mon père était photographe et je me suis mis à faire des clichés depuis l'age de 6 ans. Depuis je pratique régulièrement avec mon Leica et je tire moi même mes photos.
J'admire aussi beaucoup le travail de photo des autres , ça me permet de me rafraîchir le cerveau de m'éloigner un peu du pur travail de chef opérateur.

Avez vous subi des influences d'autres opérateurs ou de films en particulier?

Je suis un cinéphile assidu depuis vraiment longtemps. Mes premiers souvenirs de films remontent même jusqu'à l'âge de cinq ans. Mon passage à l'Idec à Paris a été une période particulièrement importante pour mon initiation au cinéma. Grâce à l'amitié de certains responsables, j'avais alors le privilège d'accéder aux projections de la cinémathèque pour un prix défiant toute concurrence (1 ancien franc la séance!) . C'est à cette époque que j'ai vraiment pu découvrir l'histoire du cinéma, et cultiver mon goût et mon intérêt en décortiquant une infinité de films. Par exemple , j'avais une certaine admiration pour des opérateurs italiens de l'époque, comme Giuseppe Rotunno, qui avait fait l'image de films de Visconti ou Fellini. Plus tard, à la sortie d'un de mon premier long métrage en couleur, je me souviens d'ailleurs avoir été très touché par l'analyse de mon travail faite par un critique du BFI me comparant à celui de Gianni Di Venanzo. Mais la musique, la littérature et la peinture ont aussi joué un rôle important dans ce processus. Je ne sais pas exactement comment, mais tout ce qu'on lit, ce qu'on ce qu’on voit en musée ou ce qu'on ressent à l'écoute d'un concert a une influence sur le travail de création d'image.C'est pour cela qu'il m'est difficile de citer précisément telle ou telle oeuvre en référence.

Comment préparez vous les films avec David Cronenberg ?

Nous discutons régulièrement au téléphone, nous échangeons des idées même en dehors des périodes de préparations. Nous avons choisi de filmer Spider avec des focales larges, pour augmenter le déséquilibre apparent du personnage, jouer sur les compositions desequilibres, les avants et les arrières plans en n'utilisant pratiquement que le 21m ou le 17mm. C'est plus difficile de travailler de la sorte sur une narration de film. Il faut prendre beaucoup plus de précautions au sujet des détails, des arrières plans , de la composition du cadre. La séparation crée par le flou en longue focale rend en général tout très joli facilement.
Mais ce n'est pas pour autant que je le préconiserais pour tous les films . Il se trouve que c'était un choix qui se défendait pour ce film en particulier.

Et pour le ton des images, la lumière ?

Je ne travaille pas trop de manière réfléchie, en pensant à ce que je veux faire. Les orientations d'images partent parfois d'un sentiment, d'une envie à la lecture du scénario. Pour Faux Semblants, alors que je n'avais encore jamais travaillé avec lui, je me souviens lui avoir décrit de manière une image froide et élégante, ce qui je pense convenait Au contraire, sur le Festin Nu, ma première approche visuelle du script était presque expressionniste. J’avais même propose l’idée d'un décor expressioniste, mais David jugeant que la situation décrite dans le film était suffisamment délirante pour ne pas en rajouter à l'écran. Un choix qui m'a finalement paru très justifié dès le tournage commencé...
En fait je crois que l'inspiration me vient presque toujours au dernier moment Il me faut visualiser le plateau, avec le décor, les comédiens, les costumes pour vraiment mettre les choses en marche dans ma tête ...
Pour Spider, j'ai d'abord eu envie de proposer à David une image à bas contraste. Dans l'optique de ce rendu, je comptais faire des essais en utilisant la Fuji 400T, qui est un support vraiment différent de ce qu'on peut trouver dans la gamme Kodak. Finalement , alors que le montage financier du film semblait très incertain, la situation s'est brutalement débloquée et j'ai été concrètement engagé à 15 jours du début du tournage!
Les tests se sont alors réduits à leur plus simple expression (une demi journée) et puis nous avons commencé à tourner le film. C'est donc au cours de la première semaine que j’ai réellement déterminé le ton des images, et qu'on s'est finalement dirigé vers une combinaison entre une lumière contrastée en contrepoint de cette pellicule très douce. Le résultat à l'écran est d'ailleurs assez contrasté surtout pour les scènes de nuit . Ce choix d'émulsion nous a même posé des problèmes dés que nous tournions en extérieur par temps gris, l'image devenant du coup très plate et sans aucun intérêt. J'ai essayé alors de changer d'émulsion pour un ou deux plans, mais le résultat à l'écran était tellement différent du reste que j'ai du faire machine arrière. Finalement, c'est en calculant au mieux les créneaux horaires et l'organisation que l'on a pu arriver à nos fins sur ces quelques scènes. Même en plein soleil, nous tournions avec des densités neutres sur la caméra pour compenser la haute sensibilité du film.
Il faut remarquer aussi que le style général du film a beaucoup été influencé par le manque de moyen que nous avons du subir. Comme je l'évoquais, quasiment pas d'essais avant le tournage, et surtout 4 semaines de moins sur le plan de travail normal sur un film de Cronenberg. C'est cette nécessité de travailler vite qui a poussé aussi David à beaucoup moins découper que d'habitude, de simplifier certaines scènes.

Avez vous envisagé de matérialiser une certaine distance entre le réel et l'imaginaire le présent et le passé?

David n'aime pas souligner ce genre de choses. C'est pour cela que nous avons décidé de traiter de manière identique à la fois le passé et le présent, l'imaginaire et le réel. De manière à ce que les deux dimensions du film se rejoignent perpétuellement.

Avez vous travaillé étroitement avec la décoration pour aboutir à l'ambiance des images?

Sur Spider, le tournage s'est partagé entre l'Angleterre et le Canada. Nous avons commencé la partie anglaise pendant que les décors se faisait construire a Toronto.
Je n'ai donc pas pu contrôler quoi que ce soit avant la veille du tournage en studio. On a échangé quelques idées sur les couleurs, en regardant des échantillons , des nuanciers mais là encore , les choses se sont vraiment mises en place au Canada. David a voulu construire les décors en taille réelle. On s'est donc retrouvé dans des décors comme celui de la cuisine ou de la chambre à coucher vraiment très étroits, avec plafond fixe (construits parfois réellement l'un sur l'autre). J'ai principalement utilisé un melange de Fresnels et de Kino Flos . Le problème est plus venu de la température très élevée qui régnait dans ces endroits confinés (tournage en plein été).

Avez vous eu des surprises?

J'ai été parfois étonné par la réaction de la pellicule aux couleurs bleues. Le rendu était quelquefois assez violent, avec une saturation plus intense que je n'avais pu l'expérimenter avec d'autres émulsions. Cette surprise pouvait alors parfois être plutôt bonne ou moins bonne suivant les scènes ou les ambiances. Comme maintenant sur beaucoup de films petit budget, la tendance est d'imposer à l'opérateur des rushs vidéo. C'est bien sûr ce qu'on m'a suggéré au départ. Mais grâce au soutien de David, nous avons pu finalement obtenir un tirage partiel 35 des rushs (une prise par plan) ce qui nous a permis de contrôler efficacement l'image et ce genre de réaction.

Finalement , il y a t il selon vous de grosses différences entre les méthodes de travail de part et d'autre de l'atlantique?

Je n'avais plus tourné avec une équipe anglaise depuis une vingtaine d'année. Et je dois reconnaître avec tristesse que le niveau d'efficacité est malheureusement bien en dessous de ce que j'ai pu connaître au Canada. Ce constat a une raison objective:
En Amérique du Nord et en Australie, les électriciens sont secondés par un équipe de machiniste qui les aident concrètement pour placer les drapeaux , faire des ombres, sculpter à proprement parler la lumière des projecteurs. Quand on arrive sur un lieu, en Europe, sans avoir eu le temps de faire de pré-light, c'est du coup très long pour la seule équipe électrique d'à la fois câbler, installer les projecteurs, les régler, et encore placer tout ce qui va autour. C'est bien sûr très frustrant pour l'opérateur qui a l'habitude de voir ces tâches se répartir naturellement avec les machinistes, de voir par la force des choses et le manque de temps bâcler les derniers réglages. Vous savez , pour moi, comme pour beaucoup d'opérateurs, il n'y a pas de lumière intéressante sans ombres. Et c'est vraiment cette dernière étape de réglages des drapeaux, des cadres, des volets qui constitue l'essentiel du travail. Ce n'est bien sûr pas la faute des gens qui travaillent, mais bien du système imposé par les productions qui refusent d'engager une équipe de machinerie , avec le gain de temps et la qualité de résultat que ça peut engranger.