PUB COCA COLA LIGHT



Renouant avec la tradition des grands effets spéciaux de décors (2001, La Mouche…), la campagne Coca-Cola Light réalisée par Sébastien Chantrel prouve que le numérique et les effets à la caméra peuvent tout à fait se marier avec immensément de talent.

Benoît Debie, chef opérateur.

Benoît Debie a signé les images d’Irreversible de Gaspard Noé, Calvaire de Fabrice du Wel), ainsi que celles « d’Enfermé dehors » d’Albert Dupontel.
Il travaille aussi régulièrement en publicité (campagnes Clairefontaine, BETV…)

Comment s'est tourné ce film Coca-Cola ?

On a tourné sur un plateau de 3700 m² à Prague, avec quatre décors différents reconstruits. Le premier était un décor de cuisine fixe, construit à l'endroit. C'est là où le spot commence, le jeune homme venant de s'ouvrir une canette de Coca Light sortie du frigo. À peine l’a t-il reposée sur la table, on s'aperçoit qu’elle a disparu, subtilisée par sa copine qui s'enfuit avec. La poursuite s'engage aussitôt entre le couple, à travers une première partie de couloir, tandis qu’ils se mettent à courir sur les murs, puis au plafond . C’est notre deuxième décor, construit pour basculer en cours de prise, permettant à la jeune fille, puis à son copain de passer en courant du sol au mur (en deux plans montés en raccord mouvement, la jeune fille se mettant à courir au plafond dans le cut).

Ensuite, la folle poursuite continue dans un long couloir, un troisième décor dont la taille, le poids et la structure nous forçait à le faire basculer uniquement entre les prises. Pour dynamiser l'action, c'est dans cette partie qu’on a décidé de jouer plus sur des mouvements de caméra. Notamment avec plusieurs travellings où la caméra semble elle aussi complètement libérée de la pesanteur.

Enfin, la partie de cache-cache s'achève dans le quatrième décor, un vaste salon au très haut plafond, construit tête bêche de manière fixe. On y trouvait un piano qui se retrouvait donc suspendu au sol-plafond, et un lustre rigidifié par la déco autour duquel les deux comédiens terminent leur poursuite. La cannette leur échappant des mains pour terminer sa course à travers un œil-de-bœuf.

À l'ère du numérique ce genre d'effets spéciaux est de plus en plus rare pourtant…

Je pense qu'on aurait pu faire appel, comme sûr Kill Bill ou les films de Hong Kong, à des comédiens suspendus par câble, avec diverses méthodes d'incrustation selon les plans, et peut-être aussi du décor de synthèse…Mais le réalisateur Sébastien Chantrel est assez fan des effets spéciaux à la prise de vue. C'est pour cette raison qu'on a essayé de faire un maximum de choses en direct, en optant pour des décors pivotants. L'avantage énorme, c'est qu'on peut quasiment juger du résultat final en direct sur le plateau. Avec la magie de la prise de vues qui opère littéralement sous nos yeux.

Comment avez-vous procédé concrètement sur le plateau ?

Le plus difficile dans cette poursuite, c'était de mélanger à la fois la prise de vue dans un décor basculant, mouvements de caméras et multi-passes pour l’assemblage des plans. Le principe, pour chaque plan mettant en scène les deux comédiens courant dans deux situations de pesanteurs différentes (au sol - au plafond - ou sur les murs) est de faire appel à une sorte de dispositif « Motion Control ». De cette manière on tourne par exemple première prise avec l'un des deux personnages décor à l'endroit, puis on passe à la seconde prise en faisant basculer le décor à 90 ou à 180°. Pour les mouvements panoramiques, on a utilisé la tête télécommandée Aerohead , qui permet de mémoriser un mouvement sur trois axes, puis de le rejouer par la suite autant de fois qu'on veut. La méthode étant de commencer par obtenir une première prise correcte avec l'un des deux comédiens en « live », pour ensuite caler le jeu du second personnage sur le mouvement enregistré.

Et pour les travellings, quel système avez-vous retenu ?

On a utilisé un rail télécommandé de 16m de long fabriqué par Propulsion qui permet non seulement d'aller très vite pour suivre les comédiens en pleine course et possède une fonction de mémoire de mouvement. Ce rail a été installé dans des configurations de travellings arrières et avant en précédant ou suivant les comédiens, ainsi que dans un travelling latéral vu du dessus, on voit l'acteur bondir au-dessus de chaque fenêtre. Un très beau mouvement combiné avec un panoramique gauche droite pour passer d'un plan de face un plan de dos.

Niveau caméra, j'ai utilisé sur ce rail le dernier modèle ultra léger Arri 235, tandis qu'une 435 nous servait de caméra de plateau pour les plans plus classiques.

Comment avez-vous éclairé le décor basculant pendant la prise ?

Étant arrivé assez tard sur le projet, je n'ai pas vraiment eu l'opportunité de collaborer sur la construction du décor basculant. En le découvrant déjà monté, je me suis aperçu que rien n'avait été prévu pour y accrocher des lumières de manière solidaire ! Un vrai problème, vu qu'il était impossible de placer des projecteurs à l'intérieur du décor -la caméra couvrant tous les axes. La lumière devait donc intégralement provenir des fenêtres placées dans le couloir, mais impossible à réaliser avec des sources ne suivant pas le mouvement de la structure… Finalement, après discussion avec Didier Roux et calculs de résistance, j'ai pu faire installer des tubes fluorescents avec ballasts placés au sol pour tricher la lumière venant de l'extérieur. Des sources à la fois légères, et résistantes aux mouvements brusques imposés par la bascule du décor (un mouvement impulsé par vérins, ne durant pas plus de 2 secondes), mais qui manquaient cruellement de recul par rapport à ce qu'aurait pu donner la lumière du jour en réalité. Pour le deuxième décor pivotant (le long couloir qui basculait entre les prises) , j'ai utilisé des maxibrute en réflexion sur des grands velums blanc. La douceur de la lumière indirecte facilitant les repositionnements d'une position du décor à l'autre.

Le format carré d’image est aussi un parti pris de moins en moins courant avec l’arrivée de la diffusion HD…

En fait, pour des raisons artistiques Sébastien voulait au départ tourner ce film en format 2.35. Mais on s'est vite rendu compte aux premières répétitions en DV que le scope allait nous poser pas de problème pour conserver au maximum le rapport visuel entre le sol et le plafond. On est donc finalement parti à l'opposé, sur du format carré 1.33, ce qui ne se fait plus tellement de nos jours, mais qui dans ce cas précis offre le meilleur rendu visuel. Les décors très verticaux agissants comme une sorte de bande scope inversée à l'intérieur du cadre carré.

Jean Chesneau, responsable de la machinerie motorisée

La société Propulsion propose des prestations inédites dans le domaine de la préparation de l’étude de systèmes de prises de vue sur véhicules et de leur mise en œuvre sur les tournages (Michel Vaillant , la série des Taxi) . Ce groupe de techniciens issus de la robotique et du secteur industriel recherche et développement a aussi mis au point un rail de travelling motorisé permettant de déplacer très rapidement et très précisément une caméra montée sur tête télécommandée.

Présentez-nous le rail de travelling motorisé que vous avez utilisé sur Coca Light ?

Notre rail est un système entièrement électronique de déplacement caméra, qui peut désormais atteindre les huit mètres par seconde en vitesse de pointe. On peut l'utiliser dans n’importe quelle position (horizontale, verticale, posée, suspendue, 45°…) avec n'importe quel type de caméra et de tête télécommandée (50 kg).

Cette dernière version a désormais en plus l'avantage d'offrir une fonction d'enregistrement et de répétition du mouvement à n'importe quelle vitesse. Sa longueur est modulaire par section de 2m en fonction du plan jusqu’à 20m.

Comment s'est déroulé votre travail ?

Avant de partir à Prague, on a du résoudre le problème de la synchronisation de la tête Aerohead avec notre rail, de manière à pouvoir parfaitement rejouer un mouvement enregistré à la fois sur l’un et sur l’autre (chaque système enregistre son mouvement séparément). Un travail effectué en collaboration avec les techniciens de la société TSF qui loue la tête, et qui nous ont permis de littéralement faire des tests en grandeur réelle.

Ensuite, on a dû mettre au point sur place un système de fixation suffisamment rigide et solide pour le rail sur la structure décor, tout en restant démontable, de manière à pouvoir envisager les prises multiples selon les positions du couloir.

Avez-vous modifié le rail pour l'intégrer au décor basculant ?

Non, on a juste adapté sa fixation. En utilisation normale, ce dernier est posé sur une barre trilight (structure triangulaire en aluminium qui sert à fixer des projecteurs dans les installations de scène). Ici, on a pratiqué des évidements dans le décor pour directement fixer notre rail à la structure extérieure en acier. Heureusement, ce décor de 45 tonnes ne bougeait qu'entre les prises, et prenait environ 20 minutes à faire pivoter d'une position à l'autre. Ce qui limitait énormément les problèmes d'inertie qu'aurait pu rencontrer le rail autrement. Sur le décor basculant pendant la prise , je pense que les contraintes étaient-elles qu’il aurait été impossible de toutes façon d'utiliser le rail.

Pensez-vous à d'autres applications originales pour cette association entre votre rail et la tête Aerohead ?

Comme la tête Aerohead est capable de contrôler non seulement trois axes de panoramiques (roll, pan , tilt), mais également les commandes de point, diaph, ou zoom, on peut par exemple envisager de l'utiliser de nouveau avec le rail motorisé pour faire des travellings compensés entièrement programmés et répétables. Un système qui permet de faire gagner beaucoup de temps quand on sait la difficulté de régler un transtrav avec les moyens de classiques de prises de vue…

James Senade, superviseur des effets numériques (La Maison)

Après plusieurs années d'expérience chez Dubois, James Senade travaille désormais en tant que free-lancedans le domaine du compositing graphique et des effets spéciaux numériques. Il a participé à de nombreux films publicitaires (avec Rupert Sanders, Marc Caro…) ainsi qu’à quelques longs métrages (Sin City de Robert Rodriguez)


Comment se sont dirigés les effets spéciaux numériques ?

Notre travail s'est réparti sur plusieurs axes. D'abord il a fallu stabiliser les prises en multipasses , et notamment celles issues du décor pivotant pendant la prise pour pouvoir parfaitement les assembler l'une à l'autre. Ensuite on a aussi été chargé de détourer les personnages sur certains plans, en vue de leur incrustation, comme quand ils se croisent ou se chevauchent dans l'image. Cette opération s'étant réalisée à partir de prises de vues normales, car le réalisateur ne souhaitait pas avoir recours à de la prise de vues sur fond vert au moment du tournage.

Quel est votre avis sur cette méthode ?

C'est à la fois un avantage un inconvénient. C'est vrai qu'une extraction sur fond vert est très rapide à effectuer si le fond est éclairé bien uniformément. En revanche, ça pose souvent le problème du raccord lumière, le personnage ne pouvant rarement être éclairé exactement la même manière sur fond vert qu'en situation dans le décor…

En plus, ça ralentit tournage, et ce n'est pas toujours très évident pour le jeu des comédiens.

Avez-vous pratiqué d’autres retouches d’images ?

On a aussi pas mal travaillé sur le décor lui-même ou des accessoires pour invisibiliser encore plus le trucage du décor renversé. Par exemple, lors du début de la poursuite, l'actrice grimpe sur le mur dans sa course , marchant sur un tableau qui se décroche et retombe au sol. Ce tableau est entièrement recréé en synthèse, car il aurait été impossible de le filmer en direct, synchro avec les pas de la comédienne, et le décor qui pivote !

Dans le mouvement de caméra au-dessus du garçon qui saute de fenêtres en fenêtre, on a du effacer le bout du rail motorisé qui rentrait dans le champ à la fin du plan en travelling arrière.

Et puis, il y a aussi le lustre dans la grande salle où s'achève la poursuite. Un lustre rigide qui a été construit à l'envers par la déco sur le plateau, et que nous nous sommes littéralement chargés d'habiller en « pampilles » numériques, soit l’élément crucial qui permette visuellement de récupérer la gravité dans l'image. Pour cela, on était présent sur le tournage de manière à faire des photos numériques des éléments de décor (les vraies pampilles en verre, éclairées in situ dans la pièce) , ou des relevés plus techniques à base de ce sphères chromées . Car on part toujours en général de la réalité pour remodéliser chaque élément dans l’ordinateur.

Comment s’est passée la chaîne de post-production image ?

Un premier télécinéma a tout de suite été effectué à Prague sous la direction de Benoît Debie

et de Sébastien Chanterel pendant la semaine de tournage. Ces images ont servi au montage, et à la prémaquette que nous avons livré pour valider les choix préalables au travail de finalisation. Ensuite, on est reparti du négatif original, pour refaire un nouveau télécinéma à Paris chez Télétota. Certains plans critiques en termes d'effets spéciaux étant transférés en HD de manière à travailler sur un élément de qualité optimum. Ce deuxième télécinéma étant fait avec un rendu d’image très peu contrasté , afin de nous laisser un maximum de latitude dans l'assemblage des différents plans. Enfin, une dernière étape d'étalonnage sur le Flame nous a permis de retrouver l'image donnée en référence par Benoît et Sebastien, après finalisation des effets.