Bojan Bazelli filme The Ring


Bojan Bazelli est d’origine yougoslave. Après des études de cinéma à l’école très réputée de Prague il décide d’aller tenter sa chance aux USA au milieu des années 80 avec son film d’études sous le bras , un court métrage baptisé « Ring around the Roses ». Il a alors la chance de rencontrer Abel Ferrara qui lui propose de lui confier les images de China Girl (1986).

Ce film lance sa carrière d’opérateur. Il enchaîne alors, toujours avec Ferrara le mythique « King of New York » puis « Body Snatchers » . Il travaille aussi sur d’autres films comme « Kalifornia »de Dominic Senna, ou « Deep Cover » de Bill Duke. Après cette forte activité en long métrage (près de 16 films), Bojan décide de faire un peu le break pour souffler un peu et passer plus de temps avec sa famille. Il travaille alors beaucoup plus sur les tournages courts de la publicités et du clip. C’est à cette occasion qu’il rencontre Gore Verbinski, un réalisateur abonné aux plus gros budgets du moment.

Quand ce dernier se lance dans le remake du film d’horreur culte japonais « Ring », Bojan ne peut refuser la tentation de replonger dans le film de genre…

Comment avez-vous réussi à travailler aux USA ?
Abel Ferrara avait en fait vu mon court métrage de fin d’études, et c’est ce qui l’a décidé à m’engager pour « China Girl » . Quand on débarque aux USA, il est vraiment capital de pouvoir montrer ce dont quoi on est capable. Par chance, ce petit film qui avait pour héros un jeune enfant qui s’ouvre à l’art et la culture dans la Tchécoslovaquie des années 80 a plu, et c’est un peu ce qui a tout déclenché. Sans oublier la chance, bien sûr d’être découvert par quelqu’un comme Abel…

Quelles sont vos influences en terme d’image au cinéma ?

J’aime citer le travail de Vittorio Storaro, qui je pense est tout de même le modèle du genre en terme de rigueur , d’acuité visuelle en fonction du propos du film. Non content de produire des images d’une beauté souvent incroyable, il réussit également à faire passer un maximum d’émotions cachées en utilisant les couleurs par exemple.

Quel était le concept visuel du film ?

Gore m’a d’abord présenté le projet comme un film froid, presque hivernal. Ce qui était intéressant comme idée, c’était de faire un film d’horreur résolument au premier degré, mais sans tomber dans les effets grands guignolesques ou excentriques de lumière. Tout devait être travaillé dans la subtilité, avec une lumière douce, presque sans ombre, comme en hiver quand on ne voit pas le soleil de la journée.

Où avez-vous tourné les extérieurs ?

On devait à l’origine tourner près de Boston. Mais le film ayant été prévu juste aux alentours du 11 septembre 2001, on a du finalement tout déprogrammer et partir sur la cote Ouest, dans la région de Seattle.
Les conditions de lumière là bas étaient idéales, puisque le ciel est en permanence bouché, avec pas mal de pluie . Sur prés d’un mois passé en extérieur, je me souviens avoir au moins passé plus de 28 jours avec mon Kway !
Bien entendu, comme le veut la loi de Murphy, la seule journée ou il a vraiment fait soleil, c’était le jour où on devait tourner une séquence sous une pluie torrentielle…

Finalement, le temps gris, c’est quand même plus facile pour les raccords que quand il faut se battre avec le soleil…

En fait ce n’est pas si facile de tourner par temps gris. Surtout si on veut conserver de la matière dans les ciels, tout en exposant correctement les visages. Même avec des ciels très chargés, je devais en permanence me battre pour cet équilibre, compensant parfois des écarts de 4 ou 5 diaphs. Pour ce faire, je me devais de raccorder en qualité de lumière, c'est-à-dire utiliser des sources les plus douces possibles. Travailler avec des projecteurs à nu aurait complètement rompu l’équilibre de l’image. Pour ces plans, mon éclairage de base consistait alors en une batterie de 18 kilos HMI diffusés à travers des cadres de 6/9 , avec en plus des fois une diffusion complémentaire (grid cloth) ainsi qu’un demi bleu CTB pour se rapprocher de la température de couleur extrêmement élevée qu’on a par temps nuageux.

Et pour les intérieurs ?

En intérieur, nous avons tourné essentiellement en studio à Los Angeles. Pour maintenir cette image hivernale, j’ai eu recours de nouveau à des sources assez fortes, diffusées par plusieurs couches. Comme il fallait laisser un maximum de liberté aux comédiens pour leurs déplacements, ces sources étaient placées finalement assez loin d’eux. J’ai du souvent avoir recours à des stratagèmes pour compenser leur rapprochement des sources et la variation d’exposition qui en découlait. Par exemple en demandant aux machinos (c’est leur rôle aux USA, ndlr) de tenir à bout de bras des drapeaux ou des mamas , déplacés en synchronisme avec les comédiens.
L’appartement en étage de Rachel, par exemple, a été entièrement reconstruit en studio. Il y avait plein de fenêtres donnant sur la ville, et on a été amené à construire une gigantesque découverte à base de photos aériennes grand format de Seattle agissant sur les ¾ du décor.
Ce procédé est assez étonnant, mais il a un défaut : celui de fournir presque tout le temps des images un peu trop piquées. Comme on a rarement le recul nécessaire sur un plateau pour jouer sur la profondeur de champs en plan large, et atténuer la netteté de la découverte, j’ai eu l’idée de demander aux fabricants de la découverte de « casser » un peu le point sur le tirage (10% en numérique) , ce qui a marché du tonnerre de dieu.
On peut aussi parfois placer un voile ou un tulle entre la fenêtre et la photo, mais là sur prés de 260° , c’était mission impossible !

Quel matériel avez-vous employé ?

J’ai tourné le film entièrement avec la nouvelle Arricam , alternant la ST et la LT en fonction des situations . Niveau optique, la majorité du film est tournée avec la série Cooke S4, et le nouveau zoom Angénieux 24/290 Optimo. Seules quelques plans extérieurs de fin de journée (les jours sont très courts en hiver à Seattle) et les plans télés (voir plus loin) sont tournés avec une série Zeiss G.O.
Pour la pellicule, je suis un fervent adepte de la Kodak 5293 (l’ancienne EXR 200T) avec laquelle j’ai tourné absolument tous les films depuis une dizaine d’année. Je trouve que son rendu est plus agréable sur les visages, avec des tons plus doux que les autres pellicules Kodak de la même granularité. Comparée notamment à la Vision 200T par exemple, l’épaule de sa courbe est plus arrondie, et elle encaisse bien mieux les détails dans les hautes lumières.
Pour The Ring, j’ai même pris quelques dispositions spéciales pour encore un peu plus l’adoucir, notamment en demandant un traitement grain fin au laboratoire (-1 diaph). Prise sur le plateau à 160asa, il en a résulté une sous exposition globale et moyenne de 2/3 de diaph, désaturant les couleurs, et adoucissant encore un peu le contraste et les tons de peaux.

Et les filtres ?

En dehors des filtres classiques (série 85 pour l’extérieur), j’ai utilisé en permanence une gamme de filtre verts pour renforcer encore un peu l’aspect froid et un angoissant de l’ambiance. J’avais à ma disposition deux filtres : un Tiffen , qu’on trouve dans le commerce, et un Harrison qu’on ma fabriqué sur mesure. Le premier correspondait exactement à 14 points de vert en tirage, le second, plus léger à exactement la moitié (7 points). La majorité des plans est faite avec le plus fort des deux. Le second n’étant utilisé que pour les gros plans de visages, car il peut devenir alors compliqué de rattraper une dominante verte trop forte sans risquer de voir les lèvres de l’actrice ou l’arrière plan brusquement partir dans le magenta… Le plus dur pour moi a surtout été le changement très tardif de casting pour la comédienne principale (Naomi Watts remplaçant Jennifer Connelly quelques semaines avant le début du tournage, ndlr) ce qui a bouleversé tous mes plans et tous les essais maquillage et costumes qu’on avait pu faire en amont en fonction de ce filtrage…

La cassette en elle-même est un élément important par rapport à votre travail…

La cassette était bien entendu un des points d’ancrage visuels du film. On a passé environ deux semaines rien que pour tourner les images lui étant destinées.. La méthode désormais courante aurait voulu qu’on tourne avec des écrans verts sur les télés, pour ensuite remplacer l’image en postproduction, mais Gore a beaucoup insisté dès le début de la préparation sur le fait de vraiment filmer cette cassette lors du tournage, afin que les comédiens puissent vraiment construire leur jeu dessus. Le programme consistait en une vingtaine de plans, dans un rendu d’image très bizarre, entre l’image d’archive et le film expérimental. On a tourné à la fois en extérieur, et en studio, avec différents traitements labo comme un développement poussé de deux diaphs allié à un sans blanchiment. Mais le look final de ces images s’est surtout concrétisé lors du télécinéma, avec le concours du directeur des effets visuels. Selon le script, la cassette allait ensuite être diffusée sur quatre écrans différents allant du moniteur professionnel de régie à la très vieille télé en passant par deux autres modèles plus courants. Cette situation nous a poussé à faire quatre versions d’étalonnages différentes pour chacun d’entre eux, en intégrant également le paramètre éclairage de chaque séquence (int nuit, jour…). Bien entendu, aucune de ces quatre versions ne ressemblaient à la fin à la cassette d’origine !

Et puis tourner face à de vrais écrans télé c’est toujours un cauchemar…

Tout le problème résidait dans les plans où on devait à la fois avoir dans le cadre et la télé et les visages. Pour des raisons évidentes de proximité entre les deux, il m’était impossible de tricher quoi que ce soit en terme d’effet lumière. Il fallait donc que ce soit concrètement l’écran qui joue le rôle de source principale en éclairant le visage du comédien. On a d’abord fait des essais très précis avec les quatre écrans différents sur lesquels les images allaient être diffusées au cours de la narration. Ca allait du moniteur professionnel de régie à la très vieille télé en passant par deux autres modèles plus courants. Pour cela, j’ai d’abord sélectionné en visionnant la cassette une zone bien précise dans une image qui m’a servi de référence pour ma mesure au spotmétre. En fixant cet indice de pose, on a ensuite fait varier la luminance et le contraste sur le tube cathodique en observant les résultats sur la scène filmée. Pour obtenir une quantité de lumière suffisante sur les visages on devait vraiment pousser les réglages au maximum, ce qui posait des problèmes pour le rendu de l’image vidéo. C’est en tentant de changer l’orientation de l’écran par rapport à la caméra qu’on a résolu en partie le problème. Avec une incidence d’environ 45°, on pouvait se permettre ce type de réglage sur le tube, tout en conservant une image tout à fait acceptable. Enfin, Pour de manière à encore plus dynamiser l’effet d’éclairage sur le visage, j’ai utilisé des objectifs Zeiss G.O, à pleine ouverture (1.3). Il n’ y a donc absolument aucun effet de lumière en complément de l’éclairage du tube sur l’intégralité des séquences de visionnage. C’est bel et bien la cassette qui joue son propre rôle en interagissant sur le visage des acteurs.